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TS
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Fiche technique

Format : 14 x 20 cm
184 pages
Broché
ISBN : 2-84804-017-3
Sortie : 18 mars 2003
Prix : 19€

Seul au milieu des autres, le jeune héros de TS porte un regard acéré sur le monde environnant. Il ne veut pas parler : il choisira d’écrire. Un dictionnaire illustré de 1940 lui servira de viatique et de talisman. D’étape en étape et d’apnée en inspiration, il ira jusqu’au bout de son irrésistible logique… Fabrice Vigne dresse le portait drôle et touchant du jeune homme en devenir.

Extrait Partie I, Chapitre I

Plutôt que de parler, moi je veux bien écrire. Mais je préviens tout de suite que je ne sais pas si j’y arriverai, je ne sais pas si j’aurai le droit d’écrire les mots qu’il faut, les mots justes. Monsieur Bernardini me dit que je dois arrêter de me demander si j’ai le droit de ceci ou le droit de cela, il dit que pour parler, pour écrire, pour dire la vérité, on a bien tous les droits qu’on veut. Je ne sais pas encore si je dois le croire sur ce point précis. Monsieur Bernardini me dit que ce serait bien si j’écrivais l’histoire, que ça « m’aiderait ».
Là, je ne sais pas quoi penser. Ça m’aiderait à quoi ? Raconter l’histoire, ça ne peut pas m’aider à autre chose qu’à faire en sorte que l’histoire soit racontée.

En plus, je me méfie parce qu’il me dit ça avec le même sourire qu’il a toujours, la bouche très large et presque ouverte comme s’il était la seconde avant de me dire quelque chose de gentil, sauf qu’il n’ajoute rien, il reste rigoureusement immobile, il me regarde, ses yeux fixes dans les miens, la tête très très légèrement penchée, il sourit et c’est tout. Il ressemble à une photo d’identité. D’habitude, les gens ont ce genre de sourire sur leur carte d’identité et en vrai ils font la gueule. Si ça se trouve, Monsieur Bernardini c’est le contraire, il fait la gueule sur sa carte d’identité.
« Écrire l’histoire, comme dans un livre ? je lui demande.
- Oui, comme un livre, si tu veux. Sauf que tu pourras arrêter si tu en as assez. » Je trouve ça louche comme réponse. Ça voudrait dire que normalement, ceux qui écrivent des livres n’ont pas le droit de s’arrêter, même quand ils en ont marre. Ça voudrait dire qu’ils sont exactement dans la même situation que nous quand on doit lire leurs livres en entier pour faire plaisir à la prof, même si dès la page huit on sait qu’on n’arrivera pas à s’intéresser à ce qui arrive aux personnages. Ça voudrait dire que, si eux et nous on s’emmerde pareil sur les livres,  il vaudrait mieux ne pas les écrire. Ce n’est pas comme ça que Monsieur Bernardini va me donner envie de raconter l’histoire.

Tiens, j’ai écrit « on s’emmerde ». Et « gueule » un peu plus haut. J’ai écrit deux gros mots sans y penser et, maintenant que j’y pense, je crois que ça aurait dû provoquer quelque chose, je ne sais pas exactement quoi, peut-être sur la feuille, comme si mon écriture avait dû changer sur ce mot-là, pourtant il ne se passe rien de plus, mon écriture c’est la même partout, mon écriture toute tordue. Bon, c’est peut-être ça que ça veut dire, « pour écrire, on a bien tous les droits qu’on veut ». « Écris si tu en as envie ». Ce qui pourrait me faire écrire, ce n’est pas tellement l’envie de raconter. Raconter c’est difficile, je ne sais pas si j’y arriverai, je l’ai déjà dit au début, et puis j’ai des doutes sur l’utilité.
Par contre, l’envie que j’ai, ce serait plutôt les mots. Les mots j’aime ça, j’aime les utiliser, les poser les uns à côté des autres pour voir l’effet que ça fait, surtout j’aime trouver ceux qui correspondent précisément à ce que je veux dire, à chaque fois trouver le mot juste c’est un grand moment, comme de découvrir l’Amérique, on peut découvrir l’Amérique plusieurs fois par phrase, c’est à se faire péter la caisse. Alors je les pose et je les trouve jolis sur la feuille, même dans mon écriture tordue. Et, sans me vanter, j’en connais plein, des rares, des compliqués, que personne d’autre ne connaît, personne dans ma classe, ni dans tout le collège, ni ici, bien sûr.

Enfin, Monsieur Bernardini je ne sais pas, il connaît peut-être beaucoup de mots, c’est difficile à dire, il ne parle pas beaucoup. Il essaie de me faire parler, c’est ça son boulot, et il s’imagine qu’il va y arriver simplement en me laissant la parole. C’est pour ça qu’à la première séance, on ne s’est pas très bien entendus, il y a eu beaucoup de silences, il posait des questions et je ne répondais pas. Je ne respirais même plus. Alors il a eu l’idée que j’écrive.Je veux bien essayer. En écrivant on a tout son temps, on a de meilleures chances de trouver les mots exacts, et seulement ceux-là, ceux qu’on veut bien dire.

On contrôle, on ne laisse rien échapper, sauf ce dont on a vérifié que la vérité est dedans. Quand on parle ce n’est pas pareil, c’est du tout-venant, on ne fait que bavarder. Je n’aime pas bavarder. Ce qui a déçu Monsieur Bernardini, c’est qu’après ses questions il a cru plusieurs fois que j’allais me mettre à parler, j’ouvrais la bouche, je prenais une grande goulée d’air, mais à chaque fois je me retenais d’expirer au dernier moment, la bouche se refermait et aucun mot ne sortait. Enfin, c’est l’impression qu’il a eue, parce qu’en vérité je ne m’apprêtais pas du tout à parler. C’est juste un tic que j’ai. Monsieur Bernardini me l’a fait remarquer, alors j’ai réfléchi et j’ai admis que je faisais ça très souvent.
Je gonfle ma cage thoracique avec la plus grande quantité d'air possible, et je bloque. Et là, rien ne sort, rien ne rentre, plus rien ne se passe. Mon corps est agrandi au maximum, élargi plutôt, c'est surtout le volume de la cage qui augmente, je prends beaucoup plus de place que nécessaire, mais ça ne se voit presque pas, les gens peuvent se dire tiens, il a une position bizarre ce garçon, il se tient droit et raide, ils ne voient pas forcément que je ne bouge pas d'un cil, pas d'un muscle, pas d'un centimètre cube d'air dans la cage. Et je peux rester très longtemps comme ça, depuis le temps que je m'exerce je dépasse sans échauffement les trois minutes.
Lorsque je m’entraîne, bien sûr je fais exprès de gonfler et de bloquer la cage, mais souvent je ne le fais pas volontairement, c’est pour ça que c’est un tic. Ça me prenait souvent au collège, pendant les cours, dès que je ne comprenais plus ce que les profs racontaient, ou plutôt dès que je ne faisais plus attention, dès que je me souvenais à quel point c’était absurde et horrible d’être là, d’attendre assis, vieillir d’une heure réuni avec tous ceux-là qui attendent assis comme moi, et qui comme moi vieillissent d’une heure, tous, ceux de mon âge qui attendent la sonnerie ou la fin de la journée ou la fin de l’année scolaire ou la fin de leur scolarité, et puis le prof, assis pareil mais un peu plus haut, qui attend les mêmes choses et la retraite en plus.

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… TS est un premier roman jubilatoire sur les affres de l'adolescence, l'apprentissage de la vie sociale et du langage. (…)
Étonnant de maturité et de finesse, de justesse et de fluidité.

Le Petit Bulletin

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Pour son premier roman, Fabrice Vigne n'a pas choisi la simplicité. Il mêle en une seule intrique une histoire forte, celle de Luc et de ses parents qui s'entredéchirent, à une troublante interrogation sur les mots et leur utilisation.

Le Matricule des Anges

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TS comme Très Satisfaisant: un livre rempli d'humour et plein d'espoir, véritable anti-stress.

Le Dauphiné Libéré

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